
A la rencontre du compositeur
Il s'agissait d'une réunion avec les premiers membres du collectif d'habitants, réunis autour du « projet carillon ».
Nous avons écouté des témoignages audio et les premiers sons du carillon composé par Pavel Tchikov.
Nous avons échangé nos impressions avec l'aide de Stéphanie Franck (philosophe de Philocité), qui nous accompagnera tout au long du projet.
Découvrez tous les sons et détails de cette matinée ci-dessous.
Vous habitez le quartier ? Participez à l'aventure !


Pavel Tchikov est un compositeur, improvisateur et multi-instrumentiste basé en Belgique.
Son groupe principal est « Ogives », un octuor qui combine le langage classique (couterpoint, tintinabuli, polyphonies, etc.) avec le rock et la musique électronique. Il compose, joue de la basse, de la guitare, du synthé modulaire, chante et écrit certains des textes du groupe.
En parallèle, il mène son projet solo « Anamnesis », où il joue principalement du synthé modulaire, parfois associé à la guitare ou au thérémine, ou à des instruments acoustiques (gongs, cloches tubulaires, objets), et produit une grande variété de genres, de la techno / idm à la musique concrète.
Il est également impliqué dans diverses collaborations avec des musiciens tels que Farida Amadou, Phil Maggi, G.W. Sok, Tom Malmendier, Olivier Praet, thisquitarmy, ... Il est membre du collectif d'improvisation libre « l'Œil Kollectif ».
Dans son temps libre, il gère un studio et un label appelé « la rouille » ou construit des installations sonores, du matériel audio et réalise des pochettes d'albums en métal.
ÉCOUTEZ les cloches
Comprendre les choix de composition
Une des idées principales du projet, au-delà du caractère participatif, est de repenser le carillon, la cloche, le langage des cloches. Le but est de s’éloigner de toute connotation chrétienne, en travaillant sur une gamme qui permettrait de s'en écarter. La première idée fut de mixer différentes gammes, notamment en jouant sur les intervalles majeurs ou mineurs (en caricaturant, certaines combinaisons d’intervalles offrent des couleurs plus européennes, d’autres plus africaines , d'autres encore rappellent l'Asie, etc) * ou en intervenant sur le tempérament : procédé d'accord (ou accordage) des instruments à sons fixes répondant à l'impossibilité de les accorder uniquement avec des intervalles purs, qui s’illustre dans les micro tonalités indiennes par exemple. Mais avec Pavel, nous nous sommes rendu compte que nous reportions le problème. En effet, pourquoi privilégier une culture plutôt qu'une autre ?
En réfléchissant sur ces histoires de gammes, de tempéraments, de leurs liens aux cultures à l’historicité et à la volonté de ne pas souligner des aspects trop propres à telles ou telles cultures, histoires, communautés, l'idée s'est imposée de venir avec quelque chose qui n'avait pas d’histoire, pas encore d’encrage réel, de tradition. Quelque chose de nouveau. Ainsi, Pavel a proposé de travailler avec la gamme Bohlen-Pierce. Développée par des mathématiciens dans les années 70-80, c’est une gamme qui ne se base pas sur l’octave, mais sur un intervalle plus grand : la tritave (octave + une quinte). Cette tritave est divisée en 13 intervalles, et la plupart des modes comportent 9 notes. La gamme est difficile d’accès, car elle rompt toutes nos habitudes sonores. Cela faisait un certain temps que Pavel étudiait cette gamme, mais il n'a jusqu'à là jamais été satisfaits de ses résultats. Il a synthétisé le son des cloches et a appliqué la nouvelle gamme au sein d'un modèle informatique. Et la magie a opéré, cela sonnait ! Sans doute parce qu’une cloche, par nature, est toujours un peu dissonante. De plus, s'en était fini de la question du majeur et du mineur… Et, accessoirement le carillon sera le premier carillon Bohlen-Pierce au monde.

@ Massimo Stampone
Il s’agissait ensuite de travailler sur la tessiture afin de trouver un équilibre entre le budget, les notes et la couleur musicale. Dans un premier temps, il a déterminé une gamme de 8 notes dont voici les fréquences : La3 +4, Do4 +2, Do#4 +9, Do 5 -3, Sol 5 +2, Sol #5 +10, Do# 6 juste, Si6 +4. Ces écarts et le nombre de note sera réajusté au fur et à mesure de la composition. En effet Pavel va composer selon les moments de tintements choisis par les participants.
Rythmiquement la direction prise est de travailler avec des rythmes euclidiens : un algorithme mathématique pensé par Euclide en – 300 av. J.-C. Il est utilisé pour répartir des notes ou des battements le plus uniformément possible dans une mesure, et génère presque tous les rythmes les plus importants des musiques du monde.** Ce qui permet d’aborder la structure rythmique des compositions « sans favoritisme » tout en faisant écho à la mixité culturelle présente sur le plateau de COBRALO.
* Cette idée de jouer sur la tierce majeure ou mineure n’est pas nouvelle et c’est un euphémisme. Je vous laisse le découvrir à travers ce récit à propos du carillon et de la tierce majeure ou mineure : "Les plus anciennes cloches en métal que l'on ai conservées datent de la dynastie Shang qui domina la Chine d'environ 1600 à 1604 avant J-C. (...) Pendant la dynastie Zhou (d'environ 1046 à 256 avant J-C), des jeux de cloches accordées que l'on appelle bianzhong comptaient parmi les biens précieux des personnes de haut rang. Quand le marquis Yi de Zeng mourut en 433 avant J-C, il emporta avec lui dans l'au-delà les corps de 21 jeunes femmes, un arsenal d'armes en bronze, de la vaisselle et des ferrures d'attelages raffinées, ainsi qu'un jeu de 65 cloches bianzhong. Quelques années après que des archéologues ont mis à jour sa tombe, en 1977, on a découvert qu'on pouvait jouer du carillon de ces cloches. Chacune d'elles, qu'on nomme zhong, est ovale plutôt que circulaire en section transversale et elle produit deux notes distinctes, en général une tierce majeure ou une tierce mineure séparément, tout dépend de l’endroit où on la frappe. »
Source : " Une histoire naturelle des sons. Notes sur l'audible", Capar Henderson : pp. 271-272
** « L'algorithme d'Euclide calcule le plus grand commun diviseur de deux nombres entiers donnés. Il est démontré ici que la structure de l'algorithme d'Euclide peut être utilisée pour générer, de manière très efficace, une grande famille de rythmes utilisés comme lignes temporelles (ostinatos), en particulier dans la musique subsaharienne africaine et dans la musique du monde en général. Ces rythmes, appelés ici rythmes euclidiens, ont la propriété que leurs motifs d'attaque sont répartis de manière aussi régulière que possible. » Par exemple, le « rythme euclidien E(3, 8) illustré à la figure ci-dessous (où en utilisant la gamme de mi majeur, on divise la mesure en 8 parts égales avec 3 avec trois « interventions ») n'est autre que l'un des plus célèbres de la planète. À Cuba, il est connu sous le nom de tresillo et aux États-Unis, il est souvent appelé rythme Habanera utilisé dans des centaines de chansons rockabilly dans les années 1950. On l'entend souvent dans les premiers tubes rock-and-roll dans les motifs de la main gauche au piano, ou joué à la contrebasse ou au saxophone. Un bon exemple est le rythme de basse dans Hound Dog d'Elvis Presley. Le motif tresillo est également très répandu dans la musique traditionnelle d'Afrique de l'Ouest. Par exemple, il est joué sur la cloche atoke dans le Sohu, une danse Ewe du Ghana. »
Source : « The Euclidean Algorithm Generates Traditional Musical Rhythms », Godfried Toussaint_School of Computer Science, McGill University, Montréal, Québec, Canada.
